Professeur de plusieurs universités à travers le monde, Roger Puati monte sur ses quatre chevaux à la suite des deux tragédies qui se sont succédées en République démocratique du Congo. Il s’agit de l’enterrement de 200 âmes congolaises mortes dans des circonstances non encore élucidées lundi 2 septembre, ainsi que les tueries perpétrées à Makala sur 129 détenus aux petites heures de cette même journée.
Dans une correspondance ouverte adressée au Président Felix Thsisekedi, ce membre du bureau politique de l’Alliance congolaise pour la Refondation de la nation (ACRN) se demande qui sont les responsables de ces drames et quelles sanctions la justice leur réservera-t-elle, tant l’impunité a été consacrée au pays. Il fait également part au Chef de l’Etat de la situation sécuritaire, socioéconomique et politique devenue désastreuse. Sans compter l’espace de la liberté d’expression qui se rétrécit notamment par les arrestations arbitraires et les menaces.
A l’en croire, il n’y a aucun signe d’espoir qui indique que le pouvoir actuel peut offrir la paix, la stabilité et le bien-être social dont le pays et le peuple ont tant besoin, surtout dans les régions en guerre comme en Ituri et au Nord-Kivu.
Imprégnez-vous de l’intégralité de sa correspondance dans les lignes qui suivent :
Massacre du Centre Pénitentiaire de Makala à Kinshasa
Excellence Monsieur le Président de la République Félix Tshisekedi Tshilombo,
L’Alliance des Congolais pour la Refondation de la Nation exprime sa profonde indignation face à la tragédie qui a frappé plus de 200 concitoyens déplacés et dont les corps ont été récemment enterrés à Goma, victimes de la faim et des maladies suite à la guerre qui sévit dans la province du Nord Kivu.
Au Centre Pénitentiaire de Makala, nous déplorons 129 assassinés ou morts par étouffement, l’enquête le dira, nous l’espérons, pour la plus part des jeunes. Ce lot de mauvaises nouvelles nous consterne en tant que formation politique, en tant que citoyens et en tant qu’humains. Voir périr en quelques jours d’intervalle près de 330 compatriotes révolte notre conscience de citoyens et interpelle notre humanité et notre sens de responsabilités. Ces chiffres sont insoutenables et inacceptables. Car nous savons pertinemment bien que notre pays a les moyens de secourir nos compatriotes, victimes de la guerre et peut aussi construire des centres carcéraux qui puissent accueillir les prisonniers dans la dignité. Qui sont les responsables de ces drames et quelles sanctions la justice leur réservera-t-elle, tant l’impunité a été consacrée dans notre pays ?
Nous devons nous poser des questions fondamentales sur l’état de notre nation et la qualité de notre gouvernance. Sommes-nous véritablement une nation unie et un État efficace ? Notre réponse à ces questions est non ! La vie du Congolais semble ne plus peser grand-chose aux yeux de ceux qui nous gouvernent. Il n’en est pas ainsi dans les pays où le peuple est au centre des préoccupations des élus et son bien-être la priorité.
Des questions cruciales et urgentes qui concernent la vie des citoyens sont négligées au Parlement, alors même que ces députés et sénateurs sont grassement rémunérés avec l’argent du contribuable congolais. Saurions-nous supporter encore longtemps ce manque de réaction à la misère du peuple ? Nous sommes alarmés et nous nous posons une question : à l’allure où vont les choses, que restera-t-il de la République Démocratique du Congo à l’horizon de 2028 ? Car nous ne voyons aucun signe d’espoir qui nous indique que le pouvoir actuel peut nous offrir la paix, la stabilité et le bien-être social dont notre pays et notre peuple ont tant besoin, surtout dans les régions en guerre comme en Ituri et au Nord-Kivu. Conduire un pays est un exercice particulièrement difficile, vous le savez, dans la mesure où ce n’est pas seulement le désir de revêtir cette mission qui compte, mais la capacité de mener à bien la responsabilité de la destinée de tout un peuple et ce dans tous les domaines.
Monsieur le Président,
Que personne ne vous trompe : le mécontentement est général dans la population qui souffre un véritable martyre. Tous les signaux lumineux de la vie nationale sont au rouge et cela dans tous les domaines. Une crise institutionnelle s’est installée dans le pays depuis la fraude électorale de décembre dernier qui a déchiré la cohésion nationale. La guerre continue avec son cortège de massacres, de déplacés et de femmes violées. Bunagana perdue depuis 2022 n’a jamais été récupérée ni par la force ni par la négociation. Cela ne plaît certainement pas, mais fort est de constater que la situation sécuritaire actuelle est bien pire que celle laissée par votre prédécesseur. L’économie est au plus bas avec un dollar dont le taux de change appauvrit toujours plus les citoyens et mine le petit commerce et les moyennes entreprises. Au plan social, chaque semaine une vidéo sort dans laquelle nous entendons des concitoyens crier famine et dire la peur du banditisme urbain dans laquelle ils vivent. Mais plutôt que d’écouter ces plaintifs légitimes, ils sont nuitamment enlevés par les services de sécurité et subissent la torture, donnant l’impression que nous sommes retournés aux heures sombres du mobutisme. La terreur, la répression, les menaces, les intimidations, les procès bidons contre les opposants politiques et les emprisonnements arbitraires deviennent une banalité. Certains de nos compatriotes sont poussés à l’exil, tandis que d’autres croupissent en prison depuis plusieurs années pour avoir contredit le pouvoir par leurs écrits ou leurs déclarations. L’espace des libertés s’est fortement rétréci en RDC et les droits humains bafoués. Nous attendions un Etat de droit, aujourd’hui c’est le désenchantement.
Nous présentons nos condoléances aux familles éprouvées par les drames susmentionnés et leur exprimons toute notre solidarité. Nous faisons mémoire des victimes et prions notre Dieu de leur accorder le repos auprès de Lui. Nous demandons des enquêtes sérieuses et indépendantes sur les deux tragédies citées ci-haut et que les coupables soient nommés et sanctionnés.
Monsieur le Président,
L’Alliance des Congolais pour la Refondation de la Nation, notre famille politique, agira toujours en toute indépendance, responsabilité et patriotisme face aux enjeux auxquels notre pays est confronté. Elle défendra toujours l’unité de tous les Congolais et la souveraineté de notre Patrie, tout en veillant à ne pas servir de béquille à qui que ce soit. Car chacun, selon la position qu’il occupe dans la société ou au sein des institutions publiques, devra seul répondre de ses agissements devant la Nation et devant l’histoire.
Nous vous adressons, Excellence Monsieur le Président de la République, nos salutations patriotiques.
Fait à Kinshasa, le 3 septembre 2024
Pour le Bureau Politique de
L’Alliance des Congolais pour la Refondation de la Nation
Professeur Roger Puati, Président