Home Actualité Candidature de Denis Mukwege : ni un pari manqué ni un fiasco (Prof. Roger Puati)

Candidature de Denis Mukwege : ni un pari manqué ni un fiasco (Prof. Roger Puati)

Roger Puati, pasteur

by Rédaction
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Des articles parus dans la presse depuis la publication par la Commission Electorale Nationale Indépendante (Céni) des résultats du désastre électorale du 20 décembre 2023 en RDC s’interrogent ou affirment carrément que le Dr Denis Mukwege aurait manqué un pari ou aurait connu un fiasco.

L’un de ces articles est celui de Vincent Duhem paru dans l’hebdomadaire Jeune Afrique du 9 janvier 2024. L’article se donne pour objet de faire l’autopsie de ce que le journaliste considère comme un fiasco s’agissant de la candidature de Denis Mukwege. Le texte commence par un chiffre : 39 728. L’auteur ne s’embarrasse pas de l’usage du conditionnel. Ni le caractère «provisoire» qu’il indique pourtant dans le chapeau du texte ni la réalité du chaos électoral qu’il croit analyser ne le retient dans ses affirmations. Curieux !

Ici se trouve le fiasco

En toute objectivité, les élections de décembre 2023 marquent la mémoire des Congolais d’un sceau indélébile comme étant l’événement politique le plus obscène de toute l’histoire de la RDC. Recevant la délégation de la SADC conduite par l’ancien Président tanzanien, Son Excellence Kikwete, les multiples violations et autres irrégularités pré-électorales commises par la Céni lui ont été exposées. Ebahis par ce qu’ils entendaient, les membres de la délégation ont été plongés dans une hilarité stupéfiante, se demandant comment la classe politique congolaise a-t-elle pu accepter de telles dérives. Mais le pire restait à venir. Le jour du vote, beaucoup de bureaux n’étaient pas ouverts ou ouvraient très tardivement. D’innombrables problèmes techniques liés à l’usage des machines à voter ont été enregistrés, le nombre d’électeurs effectifs impossible à déterminer et des centaines de machines à voter, ainsi que des bulletins de vote se sont retrouvés entre les mains des dignitaires et des sympathisants du régime qui pouvaient voter à domicile comme bon leur semblait. Et cerise sur le gâteau, le vote prévu pour un jour a été prolongé de 6 jours, en violation de la loi électorale. S’il faut chercher un fiasco c’est bien dans les élections du 20 décembre dernier qu’on est sûrs de le trouver. Inverser les choses c’est poursuivre un but non avoué. Comment peut-on suspendre son intelligence pour croire en des résultats donnés dans un tel contexte ? Se basant sur des chiffres faux et sujets à caution, la rigueur et l’honnêteté intellectuelles auraient conduit le journaliste Vincent Duhem à plus de réserve, sinon de nuance dans ses conclusions.

La campagne du Dr Mukwege

Denis Mukwege à Goma

En dépit des contre-vérités qui sont débitées quotidiennement par ceux qui ont décidé d’apporter du crédit à cette fraude électorale, nul, y compris Jeune Afrique, ne pourra effacer de notre mémoire les images fantastiques d’un Denis Mukwege triomphant au milieu des foules enthousiastes durant sa campagne. Qui, de bonne foi, peut oublier l’immense succès de Kikwit dans le Kwilu, l’accueil enthousiaste de la population de Boma dans le Kongo Central, les foules de la Place de l’indépendance à Bukavu, l’engouement de Goma, la liesse de Béni, la joie de Butembo, de Bunia, de Kisangani et l’adhésion de Kalemie ? Durant sa tournée, Denis Mukwege a martelé son programme axé sur les «3 fins» : fin de la guerre (avec un plan structuré et cohérent défendu devant l’opinion), fin de la faim et fin des vices (comme l’illustre bien cette mascarade électorale). Revenu à Kinshasa depuis l’est du pays au matin du 14 décembre, il a rendu visite au journaliste Stanis Bujakera Tshiamala et au prisonnier politique Mike Mukebayi au Centre pénitentiaire de Makala. Il ne restait à Denis Mukwege que 4 jours de campagne pour visiter Mbandaka, Inongo, Tshikapa et Lubumbashi. Il se trouve que le pouvoir a multiplié les chicanes vexatoires : réquisition de carburant et d’avions pour empêcher les candidats de l’opposition de battre normalement campagne. Le 16 décembre, près de 5 000 femmes se sont rassemblées place Triomphal à Kinshasa et ont marché sous un soleil de plomb jusqu’à la Clinique Panzi située dans le quartier de Ma Campagne pour soutenir le Plan de paix de Denis Mukwege. Le bilan de la campagne était plus que satisfaisant. D’où la question de savoir pour quelle fin Vincent Duhem parle-il d’une campagne «ratée qui n’aura jamais démarré» ? Notons au passage que la région orientale écumée par Denis Mukwege est démographiquement parlant la plus importante du pays. Cette réalité n’a pas changé depuis l’époque coloniale. Il suffit de lire Barbara Emerson dans Léopold II, Le royaume et l’empire pour s’en rendre compte. C’est donc là qu’il y avait le plus d’électeurs. Si Mukwege ne pouvait pas gagner le Kwilu, fief de Martin Fayulu, le Kongo Central lui était acquis, sans compter l’implantation des mouvements pro-Mukwege dans le Grand-Equateur. Le bilan de Tshisekedi étant amplement négatif, comment expliquer le fait que Denis Mukwege, appelé par une bonne partie de la population à briguer le mandat présidentiel, et sa caution payée par une population acquise à sa cause, ait eu moins de 40 000 votes sur 17 728 400 votants, selon les chiffres de la Céni ? Comment expliquer le fait que Tshisekedi ait obtenu plus de voix que le Dr Mukwege dans le quartier le Panzi à Bukavu ? On peut ici parler de grossièreté et de provocation. Quel est le pourcentage de Tshisekedi à Kolwezi où la foule lui a carrément tourné le dos (au sens propre) lors d’un meeting, dès qu’il s’est mis à parler  ? Le même peuple qui l’a boudé et sifflé à maintes reprises durant sa campagne électorale serait-il à ce point idiot pour l’élire malgré tout ? Se faire le chantre d’un tel résultat c’est faire preuve de naïveté sinon de malveillance. Rien d’autre n’est venu perturber la campagne du candidat Mukwege. Le reste c’est de l’affabulation inutile.

Une rancune tenace et une volonté féroce d’humilier

Denis Mukwege restera le candidat du peuple, le seul à être appelé et dont la caution a été prise en charge par la population. C’est un fait unique dans l’histoire politique de la RDC. Et ce choix du peuple lui a attiré des ennuis et beaucoup de jalousie de la part d’une classe politique (Union sacrée de la nation et opposition politique comprise) qui voyait mal une figure issue de la société civile avec une notoriété internationale venir s’imposer sur un terrain qu’elle considère comme sa chasse gardée. Les hostilités contre sa candidature ont commencé par lui attribuer différentes nationalités sauf la congolaise. Tantôt Ougandais, tantôt Rwandais ou Burundais, comme si le peuple congolais était indigne d’avoir l’un des siens recevoir le Prix Nobel. Et quelle ne fut pas notre surprise, alors que la campagne n’avait pas encore commencé, c’est le Président sortant qui s’en prend au Dr Mukwege après avoir déposé sa candidature en insinuant qu’il était le candidat de l’étranger et que l’intégration de la femme dans les instances décisionnelles qu’il prônait en usant de la notion de genre était un soutien à et une promotion de l’homosexualité. Nous n’en croyions pas nos oreilles. Comment le Chef de l’État pouvait se permettre des propos d’une telle bassesse, quand on sait qu’il a un ministère de la famille et du genre dans son gouvernement et que lui-même avait déjà prononcé un discours sur le genre à la tribune des Nations Unies ? Naturellement, il ne laissait pas d’autre choix au Dr Mukwege que de lui répondre et la réponse de ce dernier fut cinglante. Très touché dans son amour-propre, le destinataire ruminait sa rancune depuis longtemps. Mais Tshisekedi, Président de la République, ne s’est jamais imaginé le mal qu’il a causé au Dr Mukwege dans une société peu instruite et qui allait gober son mensonge pour le propager partout comme parole d’évangile. Jean-Pierre Bemba emboîtera le pas à son chef dans une diatribe contre Denis Mukwege prononcée à Gemena. Vers la fin de la campagne, le Président réitérera une autre attaque sur le plateau de Top Congo disant que la distinction de Mukwege aurait fini par lui dérégler la tête. Ces propos peu amènes traduisaient la rancune de Tshisekedi à l’égard du Dr Mukwege. Car, à posteriori, on peut dire qu’au vu de la puissante machine de fraude qu’il avait mise en place, il n’avait aucunement besoin d’offenser ainsi un homme juste qui, par le passé, lui a apporté son soutien, en particulier lors des consultations qu’il avait initiées et qui l’ont conduit à rompre avec le FCC du Président Joseph Kabila. Cette colère non-dissimulée du Chef de l’Etat n’est certainement pas étrangère à l’attribution d’un aussi faible pourcentage à Denis Mukwege et à tous les candidats qui lui sont attachés. C’est une volonté délibérée d’humilier et d’ «achever» Denis Mukwege pour qu’il renonce à tout jamais à un projet politique. Cette analyse aura échappé à beaucoup et à Vincent Duhem de Jeune Afrique. Mais la vie politique n’est jamais un long fleuve tranquille. Denis Mukwege reste une référence morale et une personnalité reconnue mondialement et cela ne va pas changer. Mais Monsieur Tshisekedi s’en souviendra certainement un jour.

En répondant à l’appel qui lui a été lancé par le peuple, Denis Mukwege a fait sa part, comme il l’a indiqué. Il n’a jamais fait aucun pari qu’il viendrait à perdre, ni connu de fiasco que seule une élection à la régulière aurait pu démontré. Dans le cafouillage du 20 décembre, il n’y a honnêtement ni vainqueur ni vaincu. Assumer un éventuel échec n’aurait pas été une difficulté de notre part. Mais face au caractère massif de la fraude et le désordre indicible lors du scrutin, nous demandons des preuves irréfutables. Le « naufrage collectif » pour des raisons internes à l’équipe du Dr Mukwege est le fruit d’une imagination fleurie et tendancieuse. Une annulation pure et simple de ce simulacre d’élections est la seule solution afin de ne pas couvrir de honte l’ensemble du peuple congolais. Nos populations en désarroi perdraient une occasion de tourner la page d’une gouvernance catastrophique, en ayant enfin un visionnaire talentueux à la tête du pays. Cette opportunité manquée ouvre un gouffre d’incertitude quant à l’avenir de la RDC.

L’équipe de Denis Mukwege et les options stratégiques prises

Comment peut-on être infaillibles dans une entreprise comme celle de conduire un homme au fauteuil présidentiel  ? Même les états-majors les plus rompus à l’exercice ne sont jamais à l’abri d’erreurs. Nous avons aussi fait des erreurs, quelques fois parce qu’un certain nombre d’entre nous, y compris des chefs de partis de notre regroupement, prenions rendez-vous avec le système électoral congolais pour la première fois et il n’y a pas de honte à cela. Assistés par un fin connaisseur du processus toujours disponible, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour réussir et nous avons remporté quelques victoires.

Denis Mukwege lève sa main de victoire à Kalemie

L’idée que seule la société civile puisse accompagner la candidature du Dr Mukwege a, de manière consensuelle, vite été abandonnée dès février 2022, parce qu’elle nous conduisait vers une impasse législative et stratégique. La loi électorale est claire : les associations et les mouvements de la société civile ne peuvent aligner des candidats à une quelconque élection. Il fallait donner des députés au candidat Mukwege pour qu’en cas de victoire, il puisse être soutenu par son camp et gouverner sans obstruction inutile au Parlement. Dans les médias, nous avons défendu cette idée de donner au Dr Mukwege une «majorité confortable» pour mener les réformes dont le pays a besoin pour avancer. A ce sujet, des vidéos existent sur internet. Pour nous conformer à la loi, il nous fallait donc un regroupement politique ayant une existence légale d’au moins 3 mois au début du processus électoral. C’est ainsi que l’Alliance des Congolais pour la Refondation de la Nation a vu le jour et a été reconnue en mars 2023 pour le processus électoral qui démarrait en juin. Ni Albert Moleka qui a été nommé Conseiller spécial du Prix Nobel le 17 mai 2022 soit 2 mois après la création de l’ACRN, ni moi-même n’avions pu orienter l’équipe vers l’option politique prise collectivement en février 2022. Y a-t-il eu des défections dans l’équipe ? C’est au journaliste de Jeune Afrique de retourner vers ses sources pour en connaître les véritables raisons. Ainsi donc imputer un «fiasco» à Denis Mukwege dans les conditions obscènes d’une fraude électorale massive peut assouvir quelques âmes en soif de grandeur, mais ce cynisme n’honore ni leurs auteurs ni l’illustre personnalité auprès de qui nous avons oeuvré. Car la grandeur qui écrase est méprisable.

Quel avenir pour Denis Mukwege

Dr Mukwege

Dans le microcosme politique congolais, briguer un mandat électif c’est espérer sortir de la misère ou augmenter ses ressources de manière soudaine. Tel n’est pas le cas de Denis Mukwege. On raconte qu’un jour le corbeau et le rossignol se disputaient pour savoir qui de deux chantait le mieux. Arrive le cochon qui, à cette circonstance, est choisi comme juge. Les deux protagonistes sont priés de chanter chacun à son tour. «Crouac, crouac, crouac !» fit le corbeau. Objectivement, l’exercice était peu concluant. Le rossignol à son tour entonna une jolie mélodie qui enchanta tous les animaux de la forêt. Le cochon trancha : «c’est le corbeau qui est le meilleur chanteur». Le rossignol se mit à pleurer. Le cochon s’adressant au rossignol lui dit : «tu pleures parce que le corbeau a été proclamé vainqueur ?» «Non», lui répondit le rossignol, «je n’envie pas la place du corbeau, mais je pleure du fait d’avoir été jugé par un cochon». Denis Mukwege reste un géant, même après cette grave injustice subie, mais celui qui l’a jugé est plus près de la fange que de la lumière.

Je suis fier d’avoir accompagné un homme d’exception d’aussi près depuis plusieurs mois, et je remercie Denis Mukwege pour la confiance qu’il m’a accordée tout au long de ce marathon. Merci à tous les compagnons de travail. Le Congo est dans un piège aux ramifications internationales, mais nous en sortirons. Soyez-en certains.

Que Dieu bénisse le Congo.

Roger Puati, pasteur

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