Dans la cosmogonie bantoue, ciel et terre sont intimement liés. Le profane et le sacré sont entrelacés et rien de ce qui advient dans l’histoire ne laisse indifférent le monde des esprits. L’histoire humaine et le monde spirituel se nourrissent réciproquement par interférences et interconnexions.
Rien de décisif dans le devenir des hommes n’échappe à la sphère divine et c’est ainsi que dans les écrits sacrés on retrouve des passages entiers dédiés aux grands événements du monde qui sont annoncés par des phénomènes cosmiques et météorologiques : la naissance d’un futur roi ou d’un futur prophète, l’approche d’un cataclysme naturel, l’annonce d’une invasion ou d’une libération sont souvent suivies des manifestations surnaturelles et météorologiques.
La visite du Prix Nobel de la paix Denis Mukwege au Kongo Central est marquée du signe de l’eau : pluie diluvienne et accalmie dans une certaine connivence terre et ciel.
Nous sommes le vendredi 10 novembre 2023.
La journée est ensoleillée à Matadi. Notre équipe locale a mis les bouchées double pour accueillir dignement le candidat président. Mais la veille en soirée, une mauvaise nouvelle tombe : le terrain du Centre des jeunes dans le quartier Minkondo réservé depuis près d’une semaine vient de nous être refusé. Il nous faut trouver dans la hâte une autre solution. Après moult tractations, nous irons finalement au terrain du Camp Mani. Toute la journée est mise à contribution pour la préparation de l’événement dans les moindres détails. Mais à 15h, alors que le cortège de Denis Mukwege arrive au niveau du pont Mpozo à l’entrée de la ville de Matadi, une grosse averse s’abat sur la ville et vient saucer toute cette belle préparation. L’équipe de préparation est catastrophée; l’œuvre de tant d’heures de travail effacée en un instant.
Le meeting n’aura pas lieu.
Une équipe de l’Alliance des Congolais pour la Refondation de la Nation (ACRN) est dépêchée sur place pour aller consoler et encourager les quelques militants riverains revenus sur le terrain du Camp Mani immédiatement après la pluie. La déception se lit sur tous les visages. Nos points focaux qui ont abattu un travail gigantesque et attendaient au moins 5’000 personnes sont effondrés. Et on peut les comprendre, mais les eaux du ciel en ont décidé autrement.
Le lendemain samedi 11 novembre en début d’après-midi, nous mettons le cap sur Boma, deuxième capitale de l’Etat Indépendant du Congo après Vivi.
La ville abrite pas moins de 250’000 âmes.
Le matin, Boma a baigné sous la pluie et une autre trempée est annoncée dans le courant de l’après-midi. Le cortège est accueilli et escorté par la police et les militants à l’entrée de la ville.
Nous faisons escale chez Monseigneur Mbimbi Mbamba, évêque de Boma où le Prix Nobel s’entretient un moment avec le prélat, puis le cortège, qui a déjà grossi quitte l’évêché, conduit cette fois-ci par une fanfare. Un trajet conséquent est fait à pied par Denis Mukwege pour saluer la population massée de part et d’autre de la route.
La fête est belle mais la pluie menace.
Arrivés sur le lieu aménagé pour la fête, un orchestre est sur le podium dressé pour l’événement. La foule dandine au rythme traditionnel local, le kithueni, une danse à trois pas. Mais il faut vite profiter de la fenêtre que nous laisse encore la météo pour écouter le message qu’est venu délivrer Denis Mukwege dans la ville portuaire de Boma. Le ciel est lourd lors dès l’introduction.
Vient alors le moment tant attendu où le Docteur candidat prend la parole. Aussitôt apparaît dans le ciel un immense arc-en-ciel qui reste accroché aux nuages jusqu’à la fin de son discours. Et lors que Denis Mukwege reprend la parole pour scander « Mbazi ve, bubu yayi » en kikongo pour dire que le changement n’est pas pour demain mais pour aujourd’hui, un deuxième arc-en-ciel fend le ciel, plus beau que le premier.
La furie céleste qui a douché les préparatifs de Matadi ne se répétera pas à Boma.
La fin du déluge qui s’abat sur le Congo depuis des décennies et qui cause tant de malheurs n’est-elle pas annoncée par ces éléments cosmiques ? L’arc-en-ciel est le symbole de la paix entre Dieu et les hommes, mais aussi signe de l’alliance entre le Créateur et sa création. Une alliance riche de portée universelle, perpétuelle, unilatérale, inconditionnelle et étendue à tous les êtres vivants (Genèse 9,1-17).
Une alliance différente de celle conclue avec Abraham dont le signe est la circoncision et celle avec Moïse dont le signe est la Torah et limitées au seul peuple hébraïque. Plus jamais, promet Dieu, je ne détruirai tout ce qui est par les eaux du déluge. Le prélude de la déportation à Babylone fut l’occupation du pays par des forces étrangères, l’assassinat du roi et la profanation et la destruction du Temple représentant respectivement le pouvoir historique, le pouvoir politique et le pouvoir spirituel.
Ce sont-là les éléments du déluge autant pour le royaume de Juda de l’époque que pour la République Démocratique du Congo aujourd’hui. Revisitez l’histoire.
Nous sommes le 11 novembre 2023, 78ème anniversaire de l’armistice, le jour où en 1945 les Alliés et les Allemands se mirent d’accord pour en finir avec la guerre et faire la paix.
Or la fin de cette sale guerre concernait aussi les Africains en général et les Congolais en particulier, eux dont les fils ont été envoyés sur tous les théâtres de combat en Afrique, dans l’océan Indien jusqu’en Birmanie guerroyer pour le compte des colons. Ils pouvaient enfin rentrer à la maison. Un signe !
L’heure de la libération a sonné et les signes des temps sont là.
L’horreur et la destruction ne seront plus qu’un souvenir et des temps nouveaux annoncent une nouvelle éclaircie dans notre ciel. Ce nouvel espoir exige de nous de la rigueur et non de la rigidité, de la patience et non de l’impulsivité et beaucoup de discernement et non de la fatuité intellectuelle.
Mbazi ve, bubu yayi !
Roger Puati